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Décoder l’Arizona

Revue Politique, le 17/03/2025

La présente note est une synthèse des articles publiés dans la revue POLITIQUE. Les
versions intégrales sont disponibles sur le site de la revue.

L’austérité budgétaire et compétitivité

par Ariane Gemaner, Damien Piron, Gabriel Maissin, Simon Watteyne et Zoé Evrard.
Dans cet article, les auteurs décryptent la logique néolibérale qui sous-tend l’accord de
gouvernement de l’Arizona et en identifient les principaux volets :

1. la politique budgétaire,
2. la réforme fiscale,
3. la politique économique et
4. la transformation de l’administration publique.

Malgré l’idée répandue selon laquelle le néolibéralisme impliquerait un retrait de l’État, ils montrent au contraire que l’exécutif entreprend une forme d’« interventionnisme » renouvelé. L’État se recentre sur des objectifs de compétitivité et de soutien au marché, tout en réduisant les dépenses sociales et en réformant la fonction publique.

Un programme budgétaire austéritaire

o Le gouvernement justifie ses coupes (23,3 milliards d’euros à l’horizon 2029) par une dramatisation de l’état des finances publiques et par l’obligation de respecter
les nouvelles règles européennes.
o Les « économies » découlent essentiellement de « réformes structurelles » (marché du travail, pensions...) et de l’« effet retour » supposé d’un taux d’emploi
plus élevé. Des mesures dites discrétionnaires (réductions de dépenses dans l’administration, les soins de santé, la politique migratoire, etc.) complètent cet
effort.
o Dans la continuité des politiques néolibérales menées depuis les années 1980, l’idée directrice reste de diminuer la part des ressources socialisées (État social,
services publics, etc.) au profit d’un soutien prioritaire à l’activité privée.

Une réforme fiscale marquée par la recherche de « compétitivité »

o Le gouvernement annonce vouloir accroître le pouvoir d’achat des « bas et moyens salaires » sans augmenter globalement la pression fiscale, optant plutôt pour des coupes budgétaires pour financer ces baisses d’impôts.

o Une « contribution sur les épaules les plus larges » (taxation partielle des plus-values, lutte contre la fraude) est mise en avant, mais son impact concret reste très limité.
o Au nom de la « compétitivité fiscale », l’accord continue de protéger fortement les revenus du capital, dans la lignée d’une longue tradition belge où la charge fiscale pèse surtout sur les revenus du travail.

Un État « investisseur » ciblé, davantage au service du marché

o L’intervention publique se veut sélective : soutien prioritaire à l’industrie, à l’innovation technologique et à la défense (via notamment un « Fonds défense »),
tandis que les dépenses dans d’autres domaines (mobilité, bâtiments publics) sont revues à la baisse.
o L’exécutif revendique ainsi un rôle « d’État stratège » ou « d’État régulateur »,

multipliant les dispositifs d’incitation (déductions fiscales, partenariats public-privé, prise de participations) plutôt qu’un véritable investissement public direct.

Une « révolution silencieuse » dans l’administration

o Sous couvert d’« efficacité » et d’« optimisation », le gouvernement généralise les instruments néo-managériaux (analyse des missions, coupes ciblées, spending
reviews) et entend supprimer le statut des fonctionnaires, à quelques exceptions près (fonctions régaliennes).
o Cette désingularisation de la fonction publique remet en cause des garanties statutaires qui protégeaient traditionnellement les agents vis-à-vis de l’arbitraire
politique, tout en accélérant une approche davantage « marchande » de l’emploi public.

Ainsi, l’Arizona s’inscrit dans la continuité néolibérale : austérité budgétaire, faible taxation du capital, recentrage de la dépense publique sur les secteurs considérés comme stratégiques pour la croissance et la « compétitivité », ainsi qu’une refonte managériale profonde de l’administration fédérale. L’article montre que, loin d’être un simple « retrait de l’État », ce nouveau gouvernement intensifie les mécanismes de marché et les logiques financières au cœur de l’action publique, avec pour conséquence une érosion supplémentaire de l’État social et des protections qu’il assurait.

La marchandisation accélérée de la Sécurité sociale
par Auriane Lamine, Daniel Zamora, Nathan Charlier, Pascale Vielle, Thomas Douillet et Tom Duterme.

Au travers des réformes engagées par le gouvernement De Wever, une accentuation nette de trois tendances caractéristiques du tournant néolibéral est opérée :
1. l’orientation de l’assurance-chômage vers une logique d’activation stricte, avec la limitation de la durée des droits et un renforcement des sanctions et contrôles ;
2. la perte progressive du caractère résiduaire de l’aide sociale, désormais intégrée à une politique conditionnelle et intrusive, mettant sous pression les CPAS déjà
saturés ;
3. et enfin, l’(hyper)-flexibilisation du marché du travail, marquée par la remise en cause du temps plein comme norme, l’extension des statuts précaires comme les
flexi-jobs ou le travail étudiant, et la marginalisation croissante des interlocuteurs sociaux au profit d’une gouvernance par objectifs.
Dans le volet « pensions » de l’accord de gouvernement, trois tendances majeures marquent la continuité de la néolibéralisation amorcée depuis les années 1990 :
1. une réduction importante des dépenses via un alignement à la baisse du régime des fonctionnaires sur celui des salariés du privé (âge de la retraite, calcul de la
pension, fin de certains droits spécifiques) ;
2. un renforcement de la conditionnalité des droits à la retraite (malus pour les départs anticipés, bonus pour les prolongations de carrière, exigences accrues de
périodes travaillées) ;
3. et une nouvelle phase de développement de la pension complémentaire par capitalisation, y compris pour les fonctionnaires, dans une logique d’inspiration
financière soutenue par des incitants fiscaux.
Enfin, le chapitre consacré à la santé s’inscrit dans le prolongement des politiques précédentes, avec une continuité forte des logiques antérieures, tout en ouvrant de facto la porte à une régionalisation des soins de santé. Le gouvernement entend en effet permettre une mise en œuvre différenciée des soins intégrés selon les entités fédérées, ce qui pourrait accentuer les inégalités régionales. Par ailleurs, le secteur de la santé, bien que moins affecté que d’autres, n’est pas épargné par la politique budgétaire restrictive : le financement hospitalier sera désormais lié à la performance via des indicateurs de résultats, la « rationalisation » territoriale de l’offre de soins sera poursuivie, et la norme de croissance des dépenses de santé sera fixée en deçà des besoins estimés par le Bureau du plan. Si la santé mentale est mise en avant, plusieurs enjeux majeurs comme le coût croissant des technologies médicales restent absents, tandis que les effets cumulatifs des autres réformes sociales risquent d’avoir des répercussions significatives sur la santé globale de la population.

Un néolibéralisme aux accents autoritaires
par Biesemans Romain, Dupont Juliette, Gemander Ariane, Lou Vertongen Youri, Seron Vincent et Wasinski Christophe.

Les réformes en matière de sécurité et de justice portées par la coalition Arizona, incarnent avec clarté les logiques du néolibéralisme autoritaire. D’un côté, on observe un durcissement sécuritaire : recentralisation des compétences policières, peines alourdies, tolérance zéro face à certaines infractions, criminalisation renforcée de la délinquance juvénile ou de la consommation de drogue, et un contrôle accru via les nouvelles technologies (bracelets électroniques, police numérique, fouilles préventives, etc.). D’un autre côté, une logique de rationalisation et de privatisation traverse l’ensemble de ces dispositifs : extension des missions confiées aux entreprises de sécurité privée (surveillance de l’espace public, prisons, etc.), recours à des indicateurs de performance pour la police, et approche entrepreneuriale de la justice où les peines peuvent être monétisées ou partiellement autofinancées par les détenus. Cette logique transforme les fonctions régaliennes en secteurs à optimiser selon des critères économiques.

Dans le champ de la défense, le gouvernement prévoit d’augmenter fortement les dépenses militaires afin, dit-il, répondre à un contexte international tendu (comme la guerre en Ukraine). Derrière ce vernis, le gouvernement engage un réarmement massif (achats de drones, avions, navires, etc.), soutenu par une communication visant à fabriquer une « culture de la sécurité ». Cependant, ce réarmement ne montre pas vraiment une volonté d’autonomie stratégique, mais plutôt d’alignement croissant sur l’agenda de l’OTAN. Ainsi, les achats d’armes ne sont pas un "investissement" au sens économique ou social, car ils ne garantissent pas automatiquement la paix ou la sécurité ; ils doivent donc être considérés comme des dépenses. Ce réinvestissement reflète une logique néolibérale, où l’État investit massivement dans les infrastructures nécessaires au capitalisme globalisé (ici, l’armée), au lieu de se concentrer sur des politiques sociales ou de désarmement.
En matière de politique migratoire, l’accord de gouvernement adopte une posture économico-sécuritaire et intégrationniste, une forme de précarisation organisée. Sous couvert de pragmatisme et de saturation des capacités d’accueil, les droits des personnes migrantes sont restreints : réduction de l’aide et des conditions matérielles d’accueil, contrôles accrus, durcissement des conditions d’accès au séjour, à la nationalité et au regroupement familial. L’accent est mis sur la dissuasion et l’expulsion, tandis que la régularisation devient une exception quasi inaccessible. L’examen des téléphones portables lors des demandes d’asile ou encore la construction de centres fermés supplémentaires participent de cette logique de criminalisation du séjour irrégulier, au mépris du respect des droits fondamentaux.
Enfin, les politiques éthiques révèlent un recul de l’État en matière de droits sociaux et reproductifs. Le débat sur l’IVG est mis en pause sous la pression des partis
conservateurs, en dépit des recommandations d’experts, confirmant l’abandon d’une réforme pourtant attendue. Simultanément, les contre-pouvoirs institutionnels sont mis sous pression : audit de l’Institut pour l’égalité entre les femmes et les hommes, réduction du financement d’UNIA. Ce désengagement de l’État vis-à-vis de ses responsabilités en matière d’égalité et de lutte contre les discriminations marque une verticalisation accrue du pouvoir, au détriment du dialogue avec la société civile et des logiques de co-construction démocratique.

Energie, écologie et mobilité, les oubliées du gouvernement
par Beudels Marie, Cobut Loïc, Lievens François-Xavier et Minguet Angèle

La compétitivité économique et la sécurité d’approvisionnement sont les priorités de la politique énergétique du gouvernement De Wever. Si l’accord s’inscrit partiellement dans la continuité des législatures précédentes en matière d’énergies renouvelables (notamment l’éolien en mer), il marque une rupture importante avec la trajectoire de sortie du nucléaire adoptée depuis 2003. Le gouvernement envisage la prolongation des réacteurs existants (Doel 4 et Tihange 3) et l’éventuel développement de nouvelles capacités, sans planification budgétaire ni stratégie claire, et en omettant les blocages potentiels liés aux propriétaires actuels.
De plus, l’accent est mis sur l’électrification et la diversification des approvisionnements, dans une logique nationale de compétitivité d’abord, durabilité ensuite. L’accord laisse ouverte la possibilité de nouvelles centrales fossiles à condition de recourir à la captation et séquestration du carbone, malgré les limites reconnues de ces technologies. La création d’un Haut Conseil de l’approvisionnement énergétique, qui pourrait faire doublon avec la CREG, illustre une tendance à redessiner l’architecture institutionnelle existante, sans en mesurer les impacts. L’ensemble reflète une vision de l’énergie dominée par la logique de marché, où les enjeux climatiques sont subordonnés aux impératifs économiques.
Sur le climat et l’environnement, une régression nette est constatée par rapport aux ambitions de la précédente législature, en ligne avec un affaiblissement du Green Deal européen. La lutte contre les changements climatiques est désormais encadrée par trois impératifs : compétitivité, incitation, et discipline budgétaire, ce qui restreint

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considérablement la capacité d’action publique. L’accord se contente de mesures floues, non contraignantes et sans feuille de route claire, alors que la Belgique est déjà en retard sur ses objectifs climatiques en 2019 et 2024.
L’innovation technologique est valorisée au détriment de l’innovation institutionnelle, pourtant nécessaire pour faire évoluer des structures inadaptées aux défis actuels. Le gouvernement choisit de renforcer les organes interfédéraux existants (CONCERE et CNC), sans explication sur leur réforme. Le manque de vision systémique, le flou stratégique autour de l’objectif de -47 % d’émissions de GES d’ici 2030, et l’absence de moyens financiers conséquents témoignent d’un désengagement progressif de l’État dans la transition socio-écologique. L’approche néolibérale est ici manifeste : le marché est vu comme principal levier, et la transformation structurelle reste marginalisée.
Enfin, sur la mobilité, l’on constate une accélération de la libéralisation du secteur ferroviaire, amorcée dans les années 1980. L’accord prévoit l’arrêt des recrutements via HR Rail, précipitant la séparation entre Infrabel (gestionnaire du réseau) et la SNCB (opérateur), et l’érosion du statut unique des cheminots, dans la logique de flexibilisation des emplois publics. Le texte mentionne également une "modernisation" des conditions de travail qui ouvre la voie à une individualisation accrue et à un alignement sur le secteur privé.
L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire est implicitement préparée, notamment par la formulation ambiguë sur le renouvellement du contrat de service
public avec la SNCB, laissant entrevoir une fin possible de son monopole. En parallèle, l’accord envisage la fermeture de petites gares peu fréquentées, en rupture avec le principe d’aménagement équilibré du territoire, en vigueur depuis plus de deux décennies. Cette transformation du rail en marché concurrentiel illustre la tendance néolibérale à remodeler les services publics selon des logiques d'efficience économique plutôt que d’intérêt général.

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